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L’identité d’une personne comprend plusieurs niveaux, plusieurs strates. Elle appartient à une nation, une région, une ville, une famille, mais aussi, une catégorie socio-professionnelle, parfois un courant de pensée.
Le musulman, lui, au-dessus de toute autre considération, est musulman. L’islam est sa conception de la vie et la révélation contenue dans le Coran et la Sunnah, est sa référence ultime.
Cependant, il n’est pas exclusivement musulman, son identité est aussi formée de plusieurs composants. Il est un être humain ayant une culture, vivant dans un pays, parlant une langue. Comme tout un chacun, il est naturellement attaché à l’endroit où il a grandi et il a parfois des racines dans le pays d’où viennent ses parents.
En découle, des goûts et une sensibilité influencés par sa culture.
A partir de là, il est légitime de se demander comment appréhender cette appartenance à la communauté de l’islam, une communauté multiculturelle, dont les membres se trouvent sur tous les continents, ont toutes les couleurs de peau, parlent toutes les langues. Comment concilier l’appartenance globalisante à l’islam et les autres niveaux de l’identité?
Comme à son habitude, lorsque sa raison n’est pas éclairée par la révélation, l’être humain a tendance à tomber dans les extrêmes. Certains avancent donc que nous ne sommes que musulmans, seule cette appartenance compte et elle seule nous définit.
A l’extrême inverse, d’autres se définissent prioritairement selon l’appartenance à leur pays ou leur origine. Tirant de cette appartenance une fierté voire même un motif d’orgueil et un complexe de supériorité. Pour eux, l’islam n’est qu’un accessoire et un folklore culturel. Ils ne se disent musulmans que parce que l’islam est la religion majoritaire de leur pays. Leur islam suit leur nationalité.
L’être humain étant complexe, il y a entre les deux, un dégradé de positions.
La vision islamique est toujours celle de l’équilibre et de la juste mesure. L’identité de l’être humain est multiple et celle du musulman est contenue sous son appartenance à la communauté de l’islam mais celle-ci n’efface pas ses autres appartenances.
Dans le verset 13 de la sourate Al Hujurat (les appartements), Allah ﷻ dit :
يَٰٓأَيُّهَا ٱلنَّاسُ إِنَّا خَلَقۡنَٰكُم مِّن ذَكَرٖ وَأُنثَىٰ وَجَعَلۡنَٰكُمۡ شُعُوبٗا وَقَبَآئِلَ لِتَعَارَفُوٓاْۚ إِنَّ أَكۡرَمَكُمۡ عِندَ ٱللَّهِ أَتۡقَىٰكُمۡۚ إِنَّ ٱللَّهَ عَلِيمٌ خَبِيرٞ ﴾١٣﴿
13 Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un homme et d’une femme, et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus afin que vous vous entreconnaissiez . Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est omniscient et Il connaît parfaitement toute chose.
Le Cheikh wahabat Az Zuhayli commente ce verset dans son tafsir en disant :
« Ô vous les gens » l’appel est lancé aux gens, alors que les appels précédents dans la sourate s’adressent aux croyants. Nous vous avons créé tous, d’une même origine, d’une même personne, de Adam et Eve. Vous êtes donc tous égaux, car votre ascendance est la même, votre père est le même, votre mère est la même. Ne vous enorgueillissez pas de vos filiations, toutes sont égales. Nous vous avons divisés en peuples (grande communauté) et en tribus (communauté plus petite), afin que vous vous entreconnaissiez, pas que vous vous opposiez les uns les autres, ni que vous vous sentiez supérieurs les uns sur les autres. Le plus noble et le meilleur d’entre vous auprès d’Allah l’est par la piété et les bonnes œuvres. Abandonnez donc, les oppositions et la fierté. [1]»
Dans ce verset fondamental, Allah ﷻ affirme à la fois l’égalité humaine et l’appartenance aux groupes sociaux. La tribu représentant les petits groupes et la nation les plus grands. Puis Il donne la raison de cette variété culturelle : afin que vous vous entreconnaissiez.
L’objectif est de s’enrichir les uns les autres par le partage de nos différences. Quel intérêt aurait le voyage et la découverte du monde si tous les peuples vivaient de la même manière, avec les mêmes coutumes et usages ?
Enfin, Il nous indique l’échelle de valeur entre individus. Est-ce l’origine ? Non, il n’y a qu’un seul critère : la piété.
Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux
Dans la sourate Ar-Rûm, Allah ﷻ dit :
وَمِنۡ ءَايَٰتِهِۦ خَلۡقُ ٱلسَّمَٰوَٰتِ وَٱلۡأَرۡضِ وَٱخۡتِلَٰفُ أَلۡسِنَتِكُمۡ وَأَلۡوَٰنِكُمۡۚ إِنَّ فِي ذَٰلِكَ لَأٓيَٰتٖ لِّلۡعَٰلِمِينَ﴾ ٢٢﴿
Parmi Ses signes figurent la création des cieux et de la terre, ainsi que la diversité de vos langues et de vos couleurs. Il est en cela des preuves pour ceux qui savent
Le Messager d’Allah ﷺ dans son discours lors du pèlerinage d’adieu a dit ces paroles fortes : « Ô les hommes, votre Pourvoyeur est unique, et votre père est unique. Pas de supériorité revenant à un arabe sur un non-arabe, ni à un non-arabe sur un arabe, ni à un blanc sur un noir, ni à un noir sur un blanc. La seule (supériorité qui soit auprès de Dieu) est la piété” (Ahmad).
L’origine ethnique, l’appartenance à un pays, ne dit rien de la qualité d’une personne. Ce sont ses actes et son caractère qui font d’elle ce qu’elle est.
De même, il n’y a ni fierté ni honte à tirer d’une nationalité. Cette question lancinante de la fierté d’être français n’a, en réalité, aucun sens. Comment être fier d’une chose au sujet de laquelle nous n’avons aucune responsabilité ? Peut-on être fier d’avoir les yeux bleus ou les cheveux bruns ?
Nous n’avons aucun mérite à être originaire de tel pays, de tel peuple, de telle région du monde. Allah ﷻ en a voulu ainsi sans que nous n’ayons le moindre rôle à jouer dans ce choix. Il n’y a donc aucune raison d’en être fier ou honteux, c’est ainsi voilà tout.
Se considérer supérieur aux autres en raison de son origine est indigne d’un musulman et cela est un trait de caractère de la jâhiliyah. Il est rapporté par Al Bukhâri et Muslim, qu’un jour le sahabi Abu Dharr Al Ghifâri avait eu une dispute avec un esclave. Il l’avait alors insulté en disant « fils de la noire ». L’esclave s’était plaint au Messager d’Allah ﷺ. A l’écoute de son récit, le visage du Prophète ﷺ était devenu rouge de colère. Il dit à Abu Dharr « As-tu vraiment insultés cet homme ? As-tu insulté sa mère ? ». Abu Dharr chercha une excuse en disant « Lorsqu’un homme insulte un autre homme, il insulte sa mère et son père ! ». Mais cette excuse était indigne d’un croyant dont la religion, l’islam, était venu éradiquer ce tribalisme. Le Messager d’Allah ﷺ lui dit « Ô Abu Dharr, tu es un homme qui a des traces de la jahiliyah en lui ».[2]
Aussi, ces différences d’origine ont pour but d’inciter les êtres humains à s’entreconnaitre, à s’enrichir les uns des autres. Si elles deviennent une cause de division, alors, c’est le signe que les gens sont tombés dans ce tribalisme.
Lors d’une expédition, il y eut une dispute entre un ansâr (un musulman originaire de Médine) et un muhâjir (un musulman originaire de la Mecque). Le Ansari se mit à appeler les Ansar et le muhajir, les muhajirun. Le Messager d’Allah ﷺ dit alors « Qu’est-ce donc que cet appel de la jahiliyah ? » « délaissez-le (le tribalisme) certes, il est pourri »
Allah et Son Messager nous ont donc enseigné que la valeur d’un être humain n’est aucunement liée à son origine ethnique, sa langue ou sa couleur de peau. Nous sommes tous issus de la même lignée, de la même origine.
Cela signifie-t-il qu’il faille effacer les affiliations aux origines et les différences culturelles ? La réponse est non.
Dans le verset précédemment cité de la sourate Al Hujurat, Allah ﷻ confirme bien qu’Il a fait de nous des tribus et des nations. Le Prophète ﷺ et ses compagnons étaient musulmans avant tout mais ils étaient aussi affiliés à leurs ancêtres.
Lors de la bataille de Hunayn, alors que les musulmans étaient en déroute, le Prophète ﷺ fit face à l’ennemi seul et il dit :
“أنا النبي لا كذب، أنا ابن عبد المطلب”
Je suis le Prophète, point de mensonge, je suis le fils de ‘Abdul Muttalib
Abdul Muttalib était son grand père et il était polythéiste, mort sur la mécréance. Il ne s’agissait évidemment pas de valider la croyance de son ancêtre, mais le désaveu de sa croaynce n’impliquait pas de renier son ascendance.
la ville de Médine était peuplée de deux grandes tribus arabes : les ‘aws et les Khazraj. Les compagnons issus de ces tribus s’y affiliaient aussi.
Certains compagnons étaient même nommés selon leur pays d’origine : Bilal Al Habachi (de Al Habacha l’Abyssinie), Salmân Al Fârisî (de Perse).
Il n’y a pas de choix à faire entre son appartenance pleine et entière à la communauté de l’islam et celles à un peuple, à une nationalité ou à une terre.
Le Prophète ﷺ était très attaché à sa ville natale : la Mecque. Il est rapporté par At Tirmidhiy que le Messager d’Allah ﷺ a dit : « quelle bonne ville tu es et celle que j’aime le plus, si mon peuple ne m’avait pas expulsé, je n’aurais jamais vécu ailleurs » en parlant de la Mecque.
De même, lors des batailles, les bataillons étaient formés selon les tribus (hormis les ansar et les muhajiroun), et chacune d’elles avait sa bannière. Mais toutes étaient sous la bannière de l’islam.
Au début de l’émigration à Médine les compagnons originaires de Le Mecque eurent du mal à s’acclimater et leur ville leur manquait beaucoup. ‘Aicha rapporte que Bilal Al Habachi récitait ces vers de poésie :
“Ah, pourrais-je passer une nuit dans une vallée avec, autour de moi, les plantes idhkhir et jalîl !
Et pourrais-je un jour me rendre aux eaux de Majanna ? Et Shâma et Tafîl m’apparaîtront-elles (encore) ?”
Idhkhir et jalîl était des plantes qui poussaient aux alentours de la Mecque.
Ne pas effacer les spécificités culturelles
Il y avait également des différence culturelles entre la Mecque et Médine, que l’islam n’a pas effacées tant qu’elles étaient dans le cadre du licite.
Un jour ‘Aicha, qu’Allah l’agrée, avait organisé le mariage d’une femme de sa famille avec un médinois. Le Prophète ﷺ lui dit alors qu’il était préférable de prévoir des divertissements durant la célébration du mariage, car cela était une habitude culturelle des médinois
“يا عائشة ما كان معكم لهو؟ فإن الأنصار يعجبهم اللهو”
Ô ‘A’icha, n’y a-t-il pas de divertissements ? Certes, les Ansar aiment le divertissement
Ici, le Prophète a indiqué qu’il était plus convenable de prendre en compte une différence d’habitude culturelle entre les gens de Médine et ceux de la Mecque.
L’appartenance à une culture est tout à fait conciliable avec l’appartenance à la communauté de l’islam. Car l’islam n’impose pas une culture particulière. Les traits culturels (façon de manger, de s’habiller etc…) font partie des choses autorisées (al mubâhâte المباحات.).
Prétendre qu’être musulman implique d’adopter la culture d’un peuple en particulier est incompatible avec l’universalité de l’islam. Par ailleurs, si l’on observe les peuples musulmans dans le monde, on constate une grande diversité culturelle. Du Pakistan au Mali, de l’Arabie à la Turquie, du Maghreb à l’Indonésie, tous ces peuples ont des usages très différents, mais tous ont un dénominateur commun, les prescriptions islamiques.
Les actes n’ont pas tous la même valeurs et la même nature. Certains font partie de la pratique de l’islam et sont un moyen de se rapprocher d’Allah (dîni). D’autres relèvent de la culture humaine et des activités de ce bas-monde (dunyawî). Pour ces dernières, le musulman n’a pas à se conformer à une culture qui ne serait pas la sienne. Aucune n’est plus islamique qu’une autre. La seule condition est de se conformer aux règles du licite et de l’illicite.
Nous retrouvons cette différenciation dans les actes du Messager d’Allah ﷺ. Il a agi parfois en tant que Prophète qui transmet le message, dans ce cas il convient de s’y conformer autant que possible, et parfois il à agit en tant qu’homme arabe de la tribu de Qouraych il y a 1400 ans.
Il a donc parfois agi en tant qu’être humain, ses actes n’ont alors pas de lien avec la législation musulmane. C’est pourquoi les savants des fondement du fiqh ont distingué ces sunan en nommant celles qui sont une façon d’adorer Allah « sunan ta’abbudiya » et celle qui relève de la culture ou des goûts personnels du Prophète « sunan jibillya » ou « ‘adiya »
Les compagnons, qu’Allah les agrée, faisaient bien la différence entre ce qui relevait de la transmission du message et ce qui n’en faisait pas partie ; et en cas d’hésitation ils posaient la question.
Barîra et son mari Mughîth
Il est rapporté de façon authentique que l’esclave Barîra fut achetée et libérée par notre mère ‘Â’icha . Or, Barîra était mariée à un homme nommé Mughîth. Une fois libérée, les avait la possibilité de mettre fin à leur mariage. Elle décida de quitter son mari. Mais ce dernier était éperdument amoureux d’elle, il demanda alors au prophète a, d’intercéder auprès d’elle en sa faveur. Ce qu’il fit, il dit à Barîra, que Mughîth était le père de son enfant, qu’elle devrait retourner auprès de lui. Barîra eut alors un doute, le messager d’Allah a lui donnait-il un ordre en tant que prophète ? Auquel cas elle devrait obéir sans hésiter, ou était-ce un conseil donné en tant qu’être humain. Elle lui demanda donc « Est-ce que tu me l’ordonnes Ô messager d’Allah ? » Le Prophète ﷺ répondit « Non, je ne fais qu’intercéder » (rapporté par Abû Dawûd, d’après ‘Abdullah ibn ‘Abbâs). Elle refusa alors que le mariage perdure, et ni le prophète a, ni les compagnons ne lui firent le moindre reproche. Le messager d’Allah ﷺ n’avait pas agi en tant que Prophète qui transmet le message, mais en tant qu’homme qui essaye d’arranger les relations entre un ami à lui et son épouse. Ses propos n’avaient aucun lien avec la législation islamique, Barîra était donc libre de l’écouter ou non.
Khâlid ibn al Walîd et la viande d’iguane
Un jour, le Messager d’Allah ﷺ était attablé en compagnie de son compagnon Khalid Ibn al Walid à Médine. On leur présenta un plat, le Prophète ﷺ dirigea sa main vers le plat puis stoppa son geste et demanda de quel animal venait la viande. On lui répondit qu’il s’agissait de viande d’iguane. Alors il retira sa main. Voyant cela, Khâlid lui demanda si la viande d’iguane était haram, le Prophète ﷺ répondit que non mais que cette viande n’était pas consommée à la Mecque et qu’il en éprouvait de l’aversion. Alors, Khalid ibn al Walid tira le plat vers lui et mangea le plat entièrement. [3]
Le Messager d’Allah ﷺ ne l’a pas blâmé sous prétexte qu’il aurait mangé un plat que le Prophète ﷺ n’aimait pas.
Mais dans le doute, Khalid a posé la question : « ton refus de manger vient-il de la révélation ? Fait-il partie du message ? Ou bien, est-ce juste une question de goût personnel ? » Après avoir eu la réponse il n’hésita pas à manger car il n’avait pas à conformer ses goûts personnels à ceux du Messager d’Allah ﷺ.
Exemple de la nourriture
En matière de nourriture, nous n’avons pas une cuisine particulière contenue dans la révélation qui serait la « cuisine islamique ». Les êtres humains sont libres de cuisiner comme bon leur semble, de confectionner des plats de leurs goût, du climat, des ressources alimentaires disponibles dans leur environnement etc.
Le couscous n’est pas plus islamique ou plus sunnah que le poulet rôti, le biryani ou le burger. En revanche, ces recettes devront toutes respecter les règles du licite et de l’illicite. La viande devra être halal, c’est-à-dire issue d’un animal abattu de façon licite, il ne devra pas s’y trouver de substance impure ou enivrante. Le hadith de Khalid et la viande d’iguane cité plus haut en est une belle illustration.
L’exemple du vêtement
Il en est de même pour les vêtements. Contrairement à une idée reçue, il n’y a pas de vêtement « sunnah » si ce n’est un vêtement qui respecte les prescriptions islamiques. Ainsi tout vêtement ample, opaque, qui couvre la zone de pudeur et n’est pas un vêtement spécifique à une autre religion, est un vêtement islamique, quelle qu’en soit l’origine culturelle.
Le vêtement est un moyen, utilisé pour se protéger et s’embellir.
﴾يَٰبَنِيٓ ءَادَمَ قَدۡ أَنزَلۡنَا عَلَيۡكُمۡ لِبَاسٗا يُوَٰرِي سَوۡءَٰتِكُمۡ وَرِيشٗاۖ﴿
Ô enfants d’Adam! Nous avons fait descendre sur vous un vêtement pour cacher vos nudités, ainsi que des parures (Al A’raf 26)
Or, le Messager d’Allah ﷺ n’a jamais hésité à utiliser des moyens lorsqu’ils étaient utiles, sans se soucier de l’origine culturelle de leurs inventeurs.
Il a utilisé une technique militaire d’origine perse, lors de la bataille d’Al Khandaq. Lorsque les coalisés étaient en chemin pour envahir Médine et que son compagnon Salman Al Farisi lui suggéra l’idée de creuser un faussé autour de Médine afin d’empêcher les coalisés d’y entrer, car c’est ce qui se faisait chez les perses, les arabes ne connaissaient pas cette manœuvre militaire.
Il ﷺ a utilisé le sceau de sa bague en argent afin de sceller les messages qu’il envoyait aux souverains dans le monde, alors que cette pratique avait été inventer par les byzantins.
Il a également utilisé le minbar dans sa mosquée, ce qui était une pratique venant d’Abyssinie.
Le Prophète ﷺ s’habillait des vêtements arabes de son époque (mais il a également porter un manteau d’origine byzantine), tout comme les polythéistes. Il ne se différenciait pas d’eux par son habillement.
Objection à ce qui précède : certains compagnons imitaient le Prophète ﷺ, dans tous ses faits et gestes
On pourrait objecter à ce qui précède que certains compagnons imitaient le messager d’Allah ﷺ, dans tous ses faits et gestes sans distinction. En effet, et le plus célèbre d’entre eux était ‘Abdullah ibn ‘Umar ibn Al Khattâb.
Al Hâfidh ibn Hajar dit à son sujet : « Ibn ‘Umar était intransigeant dans l’imitation »[4]
L’imam Al Bukhârî rapporte que ‘Ubayd ibn Jurayj a dit à ‘Abdullah ibn ‘Umar : « Ô Abâ ‘Abdi-r-rahmân ! Je t’ai vu faire quatre choses que je n’ai vu chez aucun de tes compagnons ». Parmi ces quatre choses : «je t’ai vu mettre des sandales coptes, et je t’ai vu utiliser de la teinture jaune ». Ibn ‘Umar dit alors : « Les sandales coptes, j’ai vu le Prophète ﷺ en porter des similaires et faire les ablutions avec, pour cela j’aime les porter. La teinture jaune, j’ai vu le Prophète ﷺ l’utiliser, alors j’aime le faire »
Voici deux actes du messager d’Allah ﷺ, faisant partie des sunan ‘âdiya que Ibn ‘Umar a mis en pratique. Nous pouvons remarquer que ‘Ubayd ibn Jurayj a dit qu’il n’avait vu personne d’autre faire cela. Or, s’ils faisaient partie des sunan ta’abudiyyah, il est certain que d’autres compagnons les auraient pratiqués, et même tous les compagnons, tant ces derniers étaient attachés à la sunnah. Il est impensable que la majorité des compagnons délaissent une sunnah ta’abbudiyah.
Il y a également l’exemple du sacrifice effectué à Minâ lors du pèlerinage. L’acte en soi est une adoration bien sûr, mais Ibn ‘Umar tenait à le faire exactement là où le messager d’Allah avait fait son sacrifice alors que ce dernier a dit clairement « J’ai sacrifié à cet endroit mais tout Minâ est le lieu de sacrifice, faites-le là ou vous vous trouvez » (rapporté par Al Bukhârî). A ce sujet Ibn Hajar dit ; « Ce qui semble correct est que l’endroit où le Prophète ﷺ a sacrifié était aléatoire et n’était pas lié aux rites, mais ibn ‘Umar était intransigeant dans l’imitation ».
‘Abdullah ibn ‘Umar lui-même savait son intransigeance facultative. Al Bukhârî rapporte que lorsque Ibn ‘Umar a prié dans la ka’bah, il l’a fait dans le coin dans lequel Bilal avait vu le prophète ﷺ prier, puis il dit « il n’y a aucun mal à ce que quelqu’un prie dans le coin qu’il veut ».
Un musulman issu d’un peuple non-musulman peut-il vivre selon ses habitudes culturelles alors que le Prophète ﷺ a interdit l’imitation des non-musulmans ?
Comme nous l’avons vu, un musulman peut vivre selon sa culture, en la purifiant des interdits. Mais une question peut être posée : Comment concilier cela avec les nombreux hadiths qui interdisent d’imiter les non-musulmans ?
En réalité cette interdiction ne recouvre pas tous les actes des non musulmans. Cela serait impossible car ceux-ci mangent, boivent, dorment, aiment, rient, pleurent… Si la portée de cette interdiction était générale il faudrait se distinguer d’eux aussi dans ces domaines, ce qui n’est pas concevable. Il faut donc forcément restreindre cette généralité. La question est : la restreindre jusqu’où ? Quels sont les actes concernés par cette interdiction dont il est question dans les hadiths prophétiques, tels que :
« Différenciez-vous des idolâtres, laissez pousser votre barbe et taillez vos moustaches » (rapporté par Al Bukhari) ou « Quiconque imite un peuple en fait partie » (rapporté par Abu Dawud),
Les actes des non-musulmans desquels il faut se différencier sont les actes religieux, de la croyance, des adorations et autre. Quant aux usages du quotidien, l’interdiction concerne ce qui leur est spécifique. Le savant Ali ibn Sultan Muhammad al Qari dit dans son explication du hadith « qui imite un peuple en fait partie » : « L’imitation dont il est question concerne les symboles de la mécréance, pas autre chose, cela ne concerne pas l’apparence en générale » (mirqât al mafâtîh charh michkât al masâbih)
Par exemple : les vêtements des bonnes sœurs chrétiennes, respectent les règles relatives à la pudeur, ce sont des vêtements amples, qui couvrent tout sauf le visage et les mains, il n’est cependant pas permis à une musulmane de se vêtir ainsi car c’est une tenue spécifique aux chrétiens. Il ne fait aucun doute de la religion d’une femme qui porterait cette tenue.
Cette considération peut varier d’un contexte à un autre. Il se peut que dans un contexte donné, un acte soit spécifique aux non-musulmans et donc interdit d’imitation, et qu’il ne le soit pas dans un autre.
Nous avons en cela l’exemple de la fatwa émise par les savants de l’Inde sous colonisation anglaise. Cette fatwa interdisait aux musulmans de se vêtir du costume anglais. Parmi eux, il y avait le grand savant Cheikh Thanwi. On demanda à ce dernier si cette fatwa s’appliquait également aux musulmans vivant en Angleterre. Ce à quoi il a répondu par la négative. Eux pouvaient s’habiller à l’anglaise.
Pourquoi cette distinction entre les deux cas de figure ? Car en Inde, seuls les Anglais portaient ce type de costume. Lorsque quelqu’un était vêtu ainsi, sa religion ne faisait aucun doute. Ce à quoi il faut ajouter la situation de colonisation qui attisait forcément les tensions. Mais en Angleterre le contexte était différent. Il y était courant que des musulmans portent le costume d’origine anglaise sans que cela soit un signe distinctif des non musulmans, comme cela pouvait l’être en Inde.
Cheikh al Islam Ibn Taymiyah a écrit une parole qui va dans le même sens: « Dans le cas où les juifs et les chrétiens portent des vêtements jaunes ou bleus, il sera interdit de les porter à cause de ce que cela comporte comme imitation, mais si ces couleurs ne leur sont pas spécifiques, alors il n’y a aucun mal. Dans les pays où ils portent des vêtements qu’ils sont les seuls à porter alors cela sera interdit, mais si les musulmans aussi ont l’habitude de porter les mêmes vêtements, il n’y a pas de mal à le faire. Comme l’avis de l’imam Ahmad qui considérait que les vêtements noirs était une imitation des tyrans et de leurs alliés, mais sans cette condition il ne l’aurait pas interdit ».
Arrêtons-nous plus précisément sur la question des vêtements :
Cheikh al islam ibn Taymiyah a écrit dans son ouvrage Iqtidâ’u-S-Sirâta-l-mustaqîm li mukhâlafati Ashâbi-l-jahîm : « Si des musulmans vivent dans dâru-l-harb (pays ennemi) ou daru-l-kufr (pays mécréant) mais pas ennemi, ils ne sont pas concernés par l’ordre de se différencier des non-musulmans dans l’aspect extérieure, à cause des méfaits que cela peut causer. Il peut même être recommandé pour un homme ou même obligatoire qu’il s’associe parfois à leur apparence extérieure, si cela sert un objectif profitable, tel que la da’wa, l’invitation à l’islam, ou à repousser un mal qui pourrait toucher les musulmans, ou autre chose comme objectif noble ».
Bien sûr, cette similarité dans l’apparence est limitée par les règles dinya. La musulmane n’enlèvera pas son hijab, le musulman et la musulmane ne portera pas ce qui laisse apparaitre sa zone de pudeur etc. Mais en ce qui concerne le style vestimentaire, il est préférable de de se vêtir de façon cohérente avec la culture du pays dans lequel ils vivent.
Cela est en accord avec la sunnah du prophète ﷺ qui a, lui-même, adopter des habitudes des gens du livre en arrivant à Médine. Il est rapporté par Al Bukhârî, d’après ‘Abdullah ibn ‘Abbas, qu’Allah l’agrée lui et son père : le Prophète aimait faire comme les gens du livre dans ce sur quoi il n’avait reçu aucun ordre. Les idolâtres se coiffaient avec une raie au milieu de la tête, les gens du livre ne le faisaient pas. Le Prophète ﷺ faisait comme ces derniers et ensuite il s’est fait la raie au milieu. »
Il faut remarquer tout d’abord, que cette assimilation concernait les « ‘adiyate », les usages permis car il est dit dans le hadith : « dans ce sur quoi il n’avait reçu aucun ordre ». C’est à dire sur les actes permis qui ne sont pas concernés par les ordres et les interdits. Lorsque le prophète est arrivé à Médine, il a adopté la façon de se coiffer des gens du livre. Pourquoi cela ? Al Hafidh ibn Hajar, dans son explication du hadith dit : « Al Qurtubî assure qu’il a fait cela pour attirer leurs cœurs à l’islam ».
Les musulmans de France
La majorité des musulmans européens sont issus des vagues d’immigration qui eurent lieu entre les années 60 et 90, lors desquelles des musulmans venus d’Afrique et d’Asie s’installèrent en Europe.
En ce qui concerne la France la très grande majorité de ces émigrés vinrent du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Alors que ces derniers pensaient venir travailler quelques années, ils y ont établi des familles, eurent des enfants et finalement, une communauté musulmane de France s’est formée. Cela, sans que cette formation soit « pensée », ni par les musulmans ni par l’administration française.
Une communauté musulmane s’est donc trouvée en minorité dans un pays laïc de tradition chrétienne. Durant les premières décennies, le réflexe de beaucoup de parents fut d’insister sur la transmission de la culture d’origine de la famille afin que leurs enfants ne renient pas leurs valeurs morales. Ajoutons à cela le jacobinisme[5] de l’Etat français qui l’a amené, durant son histoire post révolution française, à invisibiliser les minorités et à ne pas reconnaitre l’existence de communautés autres que la communauté nationale. Les Français ne sont que français, les autres dimensions de leur identité ne sont pas reconnues officiellement. Cela fut vrai pour les bretons, les Corses, les Basques etc. et à fortiori pour les musulmans. Car, en plus du jacobinisme, la présence musulmane convoque également le passé colonial de la France et ce qu’il contient comme racisme et complexe de supériorité occidental.
Tout cela cumulé a ralenti le processus de formation d’une culture musulmane française.
Nous l’avons vu, la culture n’est pas directement imposée par l’islam, mais ce dernier l’influence. Les boubous traditionnelles d’Afrique de l’Ouest, les Abaya d’Arabie, les djellabas du Maghreb et le Salvar Turc ont en commun d’être amples et de couvrir la zone de pudeur. Soit, les éléments dîni relatifs aux vêtements.
Le couscous, le Biriani et le mafé sont des plats de cultures diverses mais aucun ne se cuisine avec de la viande de porc ou du vin.
La culture a donc été influencée par la religion.
Les musulmans de France, après plusieurs générations installées sur le territoire, ne sont plus algériens, marocains ou sénégalais. Leur origine fait entièrement partie de leur identité, cependant elle n’en est qu’une partie. Celle-ci est aussi teintée de culture française, de la culture aussi anglo-saxonne qui domine l’occident et même le monde.
Parmi eux se trouvent également les convertis dont le nombre n’est plus négligeable. Eux aussi apportent leurs usages, et voient les leurs influencées par leur appartenance à une communauté majoritairement d’origine africaine.
En conséquence, la culture des musulmans de France est un mélange inédit d’influences diverses. Cette diversité peut être une grande richesse, à condition qu’elle soit vécue comme il convient. Il y a, au moins, trois écueils à éviter absolument :
- la division sur des bases culturelles
- les crises d’identité
- la confusion entre religieux et culturel (entre ce qui est dini et ce qui est dunyawi).
Chaque musulman de France doit avoir une vision claire de ce qui il est afin de vivre les différentes dimensions de son identité de façon sereine et harmonieuse.
Il incombe aux jeunes générations de créer la culture musulmane française. Une culture qui respecte les principes islamiques issus de la révélation et dont les usages incluent des influences africaines et françaises. Cela est indispensable et inévitable.
Indispensable car si les musulmans se sentent contraints d’adopter une autre culture que la leur (maghrébine, africaine, arabe de la péninsule arabique, indo-pakistanaise etc.) cela aura pour conséquence d’engendrer des personnalités instables, artificielles, construites sur des fondements fragiles.
Cette démarche n’est pas authentique. Certains se sentiront obligés de renier l’islam afin de se situer d’un point de vue identitaire, d’autres de renier leur véritable identité pour, penseront-ils, préserver leur foi.
Quelle que soit leur mode d’adaptation, cela engendrera des personnalités faibles car sans racine véritable.
Inévitable aussi car la nature humaine est ainsi faite. Ce processus se fera de façon naturelle, il a déjà commencé. Si nous retournons dans le passé, il y a une vingtaine d’année, peu de livres étaient traduits en français, rares étaient les mosquées dans lesquelles le sermon de joumou’a étaient traduits, les seuls restaurant halal étaient des kebabs. Aujourd’hui la bibliothèque islamique francophone est très riche, et contient des ouvrages sur tous les aspects de l’islam. Le sermon de joumou’a est traduit de façon quasi-systématique.
Le domaine dans lequel le phénomène est le plus visible est sans doute la nourriture. Les musulmans français ont intégré la culture de la gastronomie, de l’art culinaire. Ainsi que la variété des cuisines du monde. Les restaurants halal pullulent, proposant des spécialités des quatre coins du monde, japonaises, thaïlandaises, africaines, mexicaines, françaises… Cette variété est directement issue de la vie dans les métropoles occidentales, dans lesquelles se croisent les peuples du monde.
Il y a là un chantier immense et prioritaire qui attend les musulmans de France. L’élaboration d’une culture musulmane francophone. Une littérature, et des arts en générale, qui soient à la fois, conforment aux gouts des musulmans de France et aux prescriptions islamiques, dans leur forme et leur esprit, est un impératif si nous voulons bâtir une communauté forte et authentiquement musulmane.
Arrêtons-nous plus précisément sur la question des vêtements :
Cheikh al islam ibn Taymiyah a écrit dans son ouvrage Iqtidâ’u-S-Sirâta-l-mustaqîm li mukhâlafati Ashâbi-l-jahîm : « Si des musulmans vivent dans dâru-l-harb (pays ennemi) ou daru-l-kufr (pays mécréant) mais pas ennemi, ils ne sont pas concernés par l’ordre de se différencier des non-musulmans dans l’aspect extérieur, à cause des méfaits que cela peut causer. Il peut même être recommandé pour un homme ou même obligatoire qu’il s’associe parfois à leur apparence extérieure, si cela sert un objectif profitable, tel que la da’wa, l’invitation à l’islam, ou à repousser un mal qui pourrait toucher les musulmans, ou autre chose comme objectif noble ».
Bien sûr, cette similarité dans l’apparence est limitée par les règles dinya, la musulmane n’enlèvera pas son hijab, le musulman et la musulmane ne portera pas ce qui laisse apparaitre sa zone de pudeur etc. Mais en ce qui concerne le style vestimentaire, il est préférable de de se vêtir de façon cohérente avec la culture du pays dans lequel ils vivent.
Cela est en accord avec la sunna du Prophète ﷺ qui a lui-même adopter des habitudes des gens du livre en arrivant à Médine. Il est rapporté par Al Bukhârî, d’après ‘Abdullah ibn ‘Abbas : “le Prophète ﷺ aimait faire comme les gens du livre dans ce sur quoi il n’avait reçu aucun ordre. Les idolâtres se coiffaient avec une raie au milieu de la tête, les gens du livre ne le faisaient pas. Le Prophète ﷺ faisait comme ces derniers et ensuite il s’est fait la raie au milieu. »
Il faut remarquer tout d’abord, que cette assimilation concernait les « ‘adiyate », les usages permis car il est dit dans le hadith : « dans ce sur quoi il n’avait reçu aucun ordre ».C’est à dire sur les actes permis qui ne sont pas concernés par les ordres et les interdits. Lorsque le prophète est arrivé à Médine, il a adopté la façon de se coiffer des gens du livre. Pourquoi cela ? Al Hafidh ibn Hajar, dans son explication du hadith dit : « Al Qurtubî assure qu’il a fait cela a, pour attirer leurs cœurs à l’islam ».
Il ne faudrait pas croire que ce chantier est secondaire. Les attaques incessantes et les pression mise sur les musulmans peuvent obstruer notre vision à long terme mais il est crucial de garder le cap dans la tempête. Il en va de l’islam des futures générations et du renouveau de la oummah de l’islam.
Soyons dignes du message que nous portons. Le message du Créateur des cieux et de la Terre ﷻ
Vincent Souleymane
[1] At Tafsir al mounir du Docteur Wahbatu Az Zuhayli
[2] Rapporté par Al Bukhâri et Muslim
[3] Rapporté par Al Bukhari
[4] Fath al bârî de al Hâfidh ibn Hajar Al ‘Asqalânî
[5] Les Jacobains constituèrent un cercle de pouvoir très influent à l’époque de la Révolution française. Le Jacobinisme est une doctrine prônant notamment (et c’est l’aspect qui nous intéresse ici) l’indivisibilité de la République française.